“On ne met pas un enfant au monde pour l’envoyer à la mort” (Angélique Kidjo)

En Allemagne, la région de la Ruhr, dans l’ouest du pays, accueille depuis la mi-août et pour encore une dizaine de jours la “Ruhrtriennale”, un festival international de théâtre, de danse, de musique et d’arts visuels. Mercredi 4 septembre, une invitée de marque est montée sur scène et a enflammé le public : Angélique Kidjo !

La célèbre chanteuse franco-béninoise est actuellement en tournée pour célébrer ses 40 ans de carrière musicale et d’engagement en faveur des droits humains. Et en cette période de rentrée scolaire, elle a rappelé, au micro de la DW, quelles devraient être les priorités absolues des gouvernements africains.

Retranscription de l’interview :

Angélique Kidjo : Pour moi, il y a des choses qui ne sont pas du domaine du business, c’est l’éducation et la santé. Ces deux choses ne sont pas vendables parce que si on vend ces deux choses, on n’a plus de société. La troisième chose qui est très importante, c’est la jeunesse d’un pays. Quand la jeunesse d’un pays ne rêve plus, le pays est en danger. Parce que le rêve de pouvoir se dire, dans ce pays je vais avoir une place, je vais avoir un métier, je vais apporter quelque chose à ma famille, à ma communauté, à mon pays et au monde. Quand on ne l’a plus, il n’y a plus de dynamisme.

DW : Quand on regarde le Bénin qui est entouré en ce moment par pas mal de pays où les militaires sont au pouvoir, comment vous voyez cette évolution en Afrique de l’Ouest notamment ?

Angélique Kidjo :On est passé par là. Ils n’ont pas appris de nos erreurs. Mais je pense aussi que c’est le manque d’un bon leadership qui crée tout ça. Pourquoi est-ce que l’immigration est devenue le fonds de commerce des extrêmes aujourd’hui ? C’est parce que les leaders en Afrique n’ont jamais pensé au futur des jeunes de leur pays. Ils n’ont jamais investi dans le futur de leurs jeunes.

Quand on rencontre une mère qui vous dit j’ai vendu tous mes bijoux pour envoyer mon fils sur un bateau pour aller en Europe, sachant très bien qu’il peut réussir ou mourir, ça, c’est profond, parce qu’on ne met pas un enfant au monde pour l’envoyer à la mort.

Le manque de leadership pour aider les populations africaines à créer une économie qui marche pour tout le monde, c’est ça qui est le problème aujourd’hui. Il n’y a pas une autre façon d’arrêter les militaires en Afrique. Il n’y a pas une autre façon d’arrêter les groupes terroristes en Afrique.

DW : Angélique Kidjo, vous êtes née à Ouidah, un ancien port de départ pour les esclaves vers les Etats-Unis. Vous êtes passée par Paris et vous vous êtes installée justement à New York, aux Etats-Unis. Est-ce que toute cette histoire vous a traversé l’esprit quand vous avez traversé l’Atlantique, justement ?

Angélique Kidjo : Cette histoire ne me traverse pas l’esprit. Ça nous définit, nous les hommes, surtout nous les Noirs dans le monde. C’est une histoire qui est complexe, c’est pas simple. On ne peut pas, quand on est des êtres humains, déshumaniser l’autre et garder sa propre humanité, ce n’est pas possible, il n’y en a qu’une.

DW : Quand vous voyez les initiatives aux États-Unis, notamment pour les Afrodescendants, pour qu’ils renouent le lien avec le continent africain, il y a des voyages qui sont organisés… qu’est-ce que vous en pensez ?

Angélique Kidjo : Les voyages organisés, c’est un début, mais si quelqu’un a envie d’y aller de lui ou d’elle-même, il faut que la personne y aille. On ne peut pas forcer les gens à revenir en arrière ou à avancer. Il faut qu’il y ait un désir, un devoir de comprendre et qu’on y aille en étant humble. Et quand on veut faire ça, il faut savoir qui tu es avant d’y aller, pour ne pas revenir avec la tête complètement à l’envers ou te renforcer dans tes idées reçues.

Donc, je crois que c’est indispensable que chaque individu, quelle que soit sa couleur de peau, quel que soit son origine, quand il voyage, où qu’il aille, qu’il soit ouvert d’esprit pour comprendre comment les gens vivent. Pas seulement une question d’histoire, c’est une question d’ouverture d’esprit pour voir qu’est-ce que nous avons en commun, qu’est-ce que nous avons de différent et qu’est-ce qui nous lie vraiment et comment on peut créer des liens les uns avec les autres… C’est ça le plus important pour moi.

Le 17 septembre, Angélique Kidjo sera l’invitée du magazine Pulsations. Il sera notamment question de son prochain album, le vingtième, qui doit sortir début 2025 !

Interview de DW

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